« Ne Me Retiens Pas »
09.09.2022 – 07.10.2022
À travers sculpture, peinture, photographie ou musique, Inès Mélia compose à partir de motifs souvent triviaux que son geste déplace avec malice et justesse. Après sa série « La vie domestique » au sein de laquelle elle assemble des objets du quotidien (livres, vaisselle, etc.), elle poursuit son questionnement sur l’intime, les préjugés de genre et au-delà, sur ce dont le microcosme du foyer témoigne de notre rapport au monde.
Pour sa première exposition personnelle à la galerie 75 Faubourg, Inès Mélia présente en regard sa dernière série de tableaux et ses sculptures de livres, articulant sa proposition autour du cinquième tome de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust : La Prisonnière. Enfermé dans les totems comme étalé sur les toiles, le texte jalonne l’ex- position, motif formel et matière narrative. Jouant de l’erreur de traduction issue de l’évangile selon Saint Jean dans lequel Jésus ressuscité s’adresse à Marie Madeleine, « Noli me tangere », traduit « ne me retiens pas » plutôt que « ne me touche pas », l’exposition interroge cette image de la perte et de la disparition allant toujours de pair avec la volonté de retenir.
Les deux mediums, issus de la pratique plurielle de l’artiste et choisis pour cette exposition, s’opposent et se complètent. Les toiles permettent de libérer le texte, le faire resurgir en surface quand les sculptures témoignent de l’en- fermement des mots, en tension, coincés, prisonniers des livres qui les enferment. Entre érudition et spontanéité, elle rend sa liberté à l’objet et son contenu en l’extrayant à sa condition bourgeoise ou élitiste. Le livre devenu objet de décoration, condamné à sa réclusion bibliothécaire, est ici repensé comme un parcours déambulatoire.
« Le livre est pour moi un support graphique, minimal, rassurant qui me permet d’organiser et d’ordonner mon monde intérieur. ». En proposant une autre organisation, Inès tente de sortir les mots des structures qui les contiennent. La suite, l’espace, le manque, l’ellipse, sont autant de créations de compositions et de combinaisons formelles qui mènent à d’autres contenus induits par les attentions et le vécu de tout un chacun. Entre libération et enfermement, Inès Mélia révèle une ambiguïté inhérente à la lecture : l’intimité libératrice du livre, comme voyage, comme ouverture mentale sur le monde, induisant parfois la seule échappatoire possible à un enfermement contraint ou subi.
« Ne me retiens pas » pourrait finalement se traduire avec d’autres formules : laisse-moi partir, laisse-moi tranquille. Pour l’artiste comme pour chacun.e, cette injonction n’est pas celle d’une condamnation à la réclusion en dehors du monde mais bien une invitation à en sortir pour mieux y retourner. Être un artiste, c’est armer sa liberté, c’est aller et venir selon son seul bon vouloir. Ne me retiens pas, je reviens tout de suite, je reviens peut-être, je ne reviens jamais.
Jérôme Sans, commissaire de l’exposition