
Portrait de Matt McCormick, 2025.
Photo : Matt McCormick Studio
Matt McCormick
Running on Empty
27.06 – 01.08.2025
Nous sommes faits de l’étoffe de nos rêves* et l’exposition de Matt McCormick Running on Empty le donne à voir. Le Californien de Los Angeles revient sur son adolescence, sur ce moment où, pour chacun et chacune, un nouveau monde s’ouvre et produit des films intimes et des idéaux puissants. McCormick livre ici les clés de ses œuvres entre mythologies contemporaines et sommets apaisés.
« Running On Empty explore l’adolescence comme s’il s’agissait, en quelque sorte, d’une condition atmosphérique — formatrice, fracturée, et inachevée. C’est un espace où l’on rencontre le monde dans toute sa volatilité : moments d’intimité et de violence, de calme et de rapidité, de découverte et de honte. Ces années sont souvent présentées comme une période dont on se détache. Mais elles dessinent l’architecture de notre perception – ce qu’on espère, ce qu’on redoute, ce qui reste en nous.
Mon travail oscille entre peinture, sculpture, vidéo et photo, mais le fil conducteur n’est pas le médium — c’est la mémoire. Non pas la mémoire en tant que trace, mais la mémoire comme sensation : sa façon de déformer, de répéter, de disparaître, et de réémerger. Les images que j’utilise ne sont pas autobiographiques, mais elles semblent pouvoir l’être. Elles sont extraites de plateformes digitales – Tumblr, Pinterest, YouTube –, c’est-à-dire d’espaces fonctionnant à présent comme des archives de la mémoire collective. Elles reflètent la façon dont toute une génération a appris à s’expérimenter : à travers des émotions rebloguées, à travers une imagerie ambiante et l’esthétique d’une nostalgie de seconde main.
Il y a un glissement qui m’intéresse – celui de l’adolescence vécue au grand air, physique et sans filtre, vers une adolescence désormais synonyme de plus en plus d’isolement, observée à travers les écrans. Ce travail suit ce mouvement – non pas pour le critiquer, mais pour observer ce qui a changé. Comment l’expérience se structure. Comment l’identité se répète. Comment la mémoire enregistre-t-elle moins les événements et plus ce qui a été documenté, partagé ou rejoué sans fin.
Je ne cherche pas à raconter des histoires de manière linéaire. Le travail est plus articulé en fragments : petites ruptures, gestes non résolus, boucles ouvertes. Le ton oscille entre tendresse et malaise. Certains moments semblent cinématographiques, mais le récit est instable, disjoint, comme l’est la mémoire. Certaines images se répètent d’un médium à l’autre, mais leur sens change selon le contexte — comme une phrase qui résonne étrangement après avoir été répétée trop souvent.
Il y a aussi une question de mythe. La jeunesse américaine est constamment mythifiée – par les médias, la publicité, l’art. Elle est esthétisée et aplanie, même dans ces expressions les plus volatiles. Ce travail se refuse à cela. Il essaye de faire coexister les contradictions : la beauté et la violence, la joie et le danger, la liberté et la désillusion. Non pas pour les résoudre, mais pour laisser place à la charge émotionnelle qu’elles portent.
Running On Empty ne traite pas uniquement de l’adolescence. L’exposition se demande aussi comment l’adolescence persiste en nous. Comment ces premières expériences – quel que soit leur degré d’abstraction ou de fragmentation – continuent de façonner notre manière de nous souvenir, de construire du sens et de nous percevoir en mouvement dans le monde. Il est question de la tension entre ce que nous avons vécu et ce que nous avons absorbé. Ce que nous portons en nous, même sans le savoir. »
Matt McCormick
* D’après William Shakespeare, La Tempête, 1610